Innuvelle, volume 5, numéro 3, avril 2002
Suzanne Régis

Tournage sur la Côte-Nord et la Basse-Côte-Nord
« Parole de guérison »

Uashat mak Mani-utenam – Avec les blessures causées par les traumatismes saisis dans les pensionnats, plusieurs démarches de guérison sont entreprises dans différentes communautés partout à travers le Canada.  L'équipe de tournage K8e K8e procède actuellement, dans la région de la Côte-Nord et de la Basse-Côte-Nord, au tournage d'une partie du documentaire «Parole de guérison», production qui met en lumière les différents projets de guérison qui sont entrepris dans les communautés autochtones du Québec.

C'est ce qu'ont fait savoir les propriétaires de la production K8e K8e de Wendake, Jean-François Gros-Louis et Denis Boivin, en entrevue avec INNUVELLE, le 16 mars dernier.   "Parole de guérison" réunira six documentaires qui se baseront sur les différents projets que les communautés ont proposé à la Fondation autochtone de guérison (Fondation qui finance les projets dans le but de panser les blessures liées aux traumatismes vécus dans les pensionnats).

Le réalisateur du documentaire, Denis Boivin, a souligné que le but de l'exercice n'était pas de crier vengeance, mais plutôt de conscientiser les gens sur les différentes répercussions qui sont liées aux pensionnats et aussi de mettre en lumière les mesures entreprises dans les communautés autochtones du Québec pour régler les problèmes qui y sont reliés.  « Nous voulons que les gens prennent conscience qu'il y a eu un malaise social à cause des pensionnats et nous voulons mettre un point sur les divers problèmes sociaux qui ont été développés autour de cela », a indiqué le réalisateur.

Événements bouleversants

Comme plusieurs communautés du Québec ont entrepris des démarches de guérison, la production K8e K8e a arrêté son choix sur trois nations (anishnabes, wendates et innues) pour la réalisation des documentaires.  Même si la production était tout d'abord orientée sur les projets de guérison, il arrivait que des survivants des pensionnats voulaient partager leurs expériences vécues dans ces endroits, aux dires des propriétaires de la compagnie.

Durant les tournages, certaines de ces rencontres leur ont permis de comprendre que parfois, lorsqu'on traite d'une question, on ne perçoit qu'une partie d'un problème.   L'aveu d'un agresseur leur a fait comprendre tout un côté qui a été très peu dévoilé.  « La chose, qui m’a touché durant un des tournages, c’est que ce n’est pas nécessairement la réinsertion de la victime dans la société qui est le plus difficile - même si c'est dur - mais la réinsertion de l'agresseur. Lorsqu'on réunit des victimes d'agressions sexuelles autour des cercles de partages, ça va bien, tout le monde est sur le même bateau.  Mais la chose devient moins évidente lorsqu’il y a un agresseur dans le groupe...  Un agresseur nous a d’ailleurs fait comprendre que s'il était devenu un agresseur, c’est que lui-même a subi une agression sexuelle.  À ses côtés, sa femme nous confie : « oui, mon mari est un agresseur, mais je l’aime.  C’est pourquoi je l’embarque dans le cercle ».  Non seulement elle lui offre son soutien, mais c’est un pardon sublime », a confié M. Boivin.

Autre fait marquant : la perte de langue, aux dires de Jean-François Gros-Louis.  « Lors de ces rencontres, j’ai remarqué que plusieurs personnes avaient perdu leur langue ou qu’elles sont entrain de la perdre. C’est très important de sauvegarder la langue, et je sais de quoi il est question, car nous (Hurons), nous avons perdu notre langue depuis longtemps », a-t-il mentionné. L’expérience vécue dans les pensionnats n’est pas étrangère à cette situation, a fait savoir Denis Boivin.   « Les enfants étaient arrachés à leur famille vers l’âge de cinq ans et ne retournaient que rarement chez eux. Ils ne revenaient définitivement qu’à l’âge de 16 ou 17 ans à la maison et souvent ils ne pouvaient plus communiquer avec leurs parents, car ils ne parlaient plus la langue. La coupure a été draconienne », a expliqué le réalisateur.

La réalisation documentaire traitera donc non seulement des répercussions sur les personnes qui ont vécu des sévices physiques ou sexuels dans les pensionnats, mais aussi les conséquences liées aux coupures drastiques, qui par le fait même, a provoqué des répercussions indirectes sur les autres générations.  « Il n’y a pas 46 façons de s’en sortir, il faut en parler d’abord, c’est la raison pour laquelle on a appelé ce documentaire Parole de guérison », a précisé M. Boivin. Selon lui, c’est en se livrant que les gens se libèreront. Une telle réflexion permettra de mieux saisir l’importance du mouvement qui se crée dans les communautés autochtones actuellement.

Présenté à l'APTN

Les gens pourront regarder, sur le réseau Aboriginal People Television Network (APTN), la première partie de ces documentaires dès septembre prochain.

Copyright (C) 2004, K8e K8e Productions Artistiques et Culturelles inc.